De 1750 à 1830 La Révolution industrielle Essor britannique

En 1800, Chine et Angleterre ont atteint un niveau de développement comparable. Un demi-siècle plus tard, l’industrialisation britannique a creusé un véritable gouffre entre les deux pays. Pourquoi cette grande divergence ?

En 1793, alors que l’empereur Qianlong (règne 1736-1795) reçoit un émissaire britannique en quête d’un accord commercial à Beijing, il lui déclare que la Chine n’accorde aucun intérêt à son petit pays, « coupé du monde par d’interminables étendues marines ». La Chine de la dynastie Qing (1644-1911) fait alors figure de première puissance mondiale. Les effectifs de ses armées, en mesure d’imposer un protectorat au Tibet en 1751, sont sans équivalent. Son économie est florissante. Pourtant, en 1830, le petit pays lointain qu’est l’Angleterre est en mesure de dicter sa loi à la Chine. L’ordre du monde bascule rapidement, en trois étapes : 1) l’Angleterre s’impose comme la puissance dominante d’Europe de l’Ouest ; 2) elle renforce sa mainmise sur l’Inde ; 3) elle réalise la Révolution industrielle* 1.

Un premier conflit mondial

En 1750, les Empires ibériques, Espagne et Portugal, sont depuis longtemps éliminés du jeu asiatique. Ils ne conservent leur place dans le jeu international que par leur contrôle de l’Amérique latine. Les Pays-Bas ont triomphé au 17e siècle par la puissance de leur flotte et une économie dynamique, riche en innovations financières. Mais ils sortent affaiblis des guerres les opposant à leurs concurrents français et anglais. L’Angleterre et la France restent en lice, toutes deux présentes en Inde et en Amérique du Nord.

Éclate alors un conflit d’ampleur mondiale : la guerre de Sept Ans (1756-1763), à l’issue de laquelle la France cède à l’Angleterre la plus grande partie de ses colonies, dont la Nouvelle-France (auj. Québec) et ses possessions en Inde. Elle remet aussi à l’Espagne, son alliée tardive dans ce conflit, ses droits sur la Louisiane. La France conserve ses possessions dans les Caraïbes, notamment Saint-Domingue (auj. Haïti) et ses riches plantations sucrières.

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L’Inde dominée

La Compagnie anglaise des Indes orientales (EIC) a désormais les mains libres en Inde. L’Empire moghol s’est désintégré devant la montée en puissance d’États indépendants, tel celui des Marathes. L’Inde, morcelée, est grignotée par l’EIC, qui se substitue aux anciens pouvoirs sur les plans juridique, fiscal, législatif et militaire. Une compagnie privée dirige progressivement l’un des pays les plus productifs du monde, et contrôle l’une des armées les plus performantes de l’époque. Sous forme de bénéfices et de taxes, l’EIC vide l’Inde des métaux précieux qui s’y sont déversés depuis deux siècles, remplissant les caisses de ses actionnaires et celles d’un État britannique soucieux de renforcer sa position de première puissance maritime mondiale.

Une déflation d’ampleur s’ensuit. Les textiles indiens ne sont plus à la mode en Europe, les goûts britanniques deviennent austères, les capacités de fabrication s’effondrent. Se met en place un échange inégal : l’Inde ne fait plus que produire la matière première, le coton, mal payé. Il est filé et teinté dans les ateliers mécanisés de cités anglaises comme Manchester, surnommée ­Cottonopolis, puis vendu au monde entier avec de substantiels bénéfices. Le charbon, brûlé pour alimenter en vapeur les métiers à tisser ou les poêles à chauffer, devient omniprésent. La suie tapisse les murs des usines.

La Grande-Bretagne, vite rejointe sur le chemin de l’industrialisation par d’autres États européens, dicte sa loi au Monde. Comment expliquer cette avancée, qualifiée de « miracle européen » ? Classiquement, les historiens et les économistes insistent sur des qualités propres à l’Europe, qui se seraient condensées dans l’Angleterre du 19e siècle : l’innovation technologique, renforcée par l’accumulation du capital aux mains de grands entrepreneurs bénéficiant du soutien de leur État ; la croissance démographique liée à l’amélioration des conditions de vie ; la présence d’institutions garantes de la liberté d’entreprendre ; l’essor technologique assurant à l’État des moyens militaires considérables.

Le miracle européen

Dans Une grande divergence (2000), l’historien états-unien Kenneth Pomeranz estime pour sa part que l’Angleterre ne peut accomplir la Révolution industrielle que grâce à la combinaison de deux avantages environnementaux : la présence de gisements de charbon proches de ses centres de production, évitant la déforestation pour produire industriellement ; et la réserve de terres agricoles que lui confèrent ses colonies, qui la font bénéficier de quelque 10 à 12 millions d’« hectares fantômes ». Les pâturages d’Australie pour la laine, les plantations des Amériques pour le sucre, d’Inde pour le thé et le coton, les champs d’Irlande pour les pommes de terre…, sont autant de terres agricoles mobilisées pour le seul bénéfice de l’Angleterre.