La Chine au centre du Monde de 950 à 1200

Billets de banque, élites plébiscitant le thé, hauts-fourneaux,
 recours aux entreprises privées… Avant la Grande-Bretagne,
 la Chine des Song amorce son développement.


L’Ancien Monde, ≈ l’an 1000, est densément parcouru de réseaux commerciaux. Des régions entières de Chine du Sud sont dédiées à la production de soie ou de porcelaine, et importent le riz et les autres denrées alimentaires des zones voisines. La Chine du Nord connaît une importante activité minière et métallurgique. Symétriquement, une partie de l’Inde du Sud est axée sur la culture du poivre et du coton, et produit de grands volumes de tissus à des fins d’exportation – les cotonnades. L’économiste britannique Angus Maddison estime que les dix premiers siècles de notre ère ont vu l’Asie dominer sans partage l’économie du monde, générant les trois quarts du PIB mondial, la part de l’Europe se réduisant à 10 %. Une ébauche de division internationale du travail s’est instaurée. Les échanges, par leur volume, influencent les développements sociaux et économiques de l’Eurasie.

Le prospère empire du Milieu

Sur un total mondial évalué en moyenne à 300 millions de Terriens, chiffre qui n’a que légèrement progressé en un millénaire, l’Ancien Monde compte environ 200 millions d’habitants, dont 100 millions pour la seule Chine. Entre 800 et 1200, la population chinoise semble avoir doublé. Cette forte croissance démographique est peut-être corrélée à l’Optimum climatique médiéval, une période de réchauffement de l’hémisphère Nord courant du 9e au 13e siècle, qui profite à toute l’Eurasie. Reste qu’avec le tiers de la population mondiale, disposant d’un marché intérieur densément irrigué par les canaux, rivières et routes, l’empire du Milieu est le laboratoire des transformations sociales et économiques. Il exporte massivement porcelaine et soie, même si le secret de fabrication de la soie est maintenant sorti de ses frontières.

Dans les Mondes musulman et chinois, on calcule à grande échelle, avec des abaques ou des bouliers. L’essor du commerce en Islam est matérialisé par le funduq, un entrepôt loué par les autorités locales aux marchands étrangers. Ce système s’adapte sous des formes diverses jusqu’en Europe méridionale et en Chine. Des formules contractuelles, courantes dans le Monde musulman dès les 8e-9e siècles, apparaissent chez les marchands vénitiens et génois à partir des 11e-12e siècles, telles la commenda (association de capitaux finançant une opération commerciale) ou la lettre de change (issue de la suftaja persane), utilisée alternativement comme un chèque (remise de créance) ou un instrument de crédit. En Afrique, la côte swahilie et le Sahel, par leurs élites islamisées et leurs réseaux commerciaux, sont intégrés dans cet ensemble, auquel ils contribuent par l’apport de matières premières (or) et de force de travail razziée chez leurs voisins (esclaves, que l’on retrouve jusqu’en Chine dès le 9e siècle).

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Billets de banque, riz, thé et coton

La Chine de la dynastie Song (960-1279) est de loin la partie du Monde économiquement la plus performante. La monnaie de métal chinoise est remplacée par les premiers billets de banque dès le début du 11e siècle. Les percepteurs passent de prélèvements en nature à des impôts en argent, et ≈ 1100, l’économie de l’État chinois est plus qu’à moitié monétarisée. ≈ 1010, les Chinois du Sud commencent à utiliser des grains de riz en provenance du Champâ, un royaume occupant la moitié sud de l’actuel Viêtnam. C’est une révolution agricole, tant cette nouvelle variété est productive : on passe d’une à deux récoltes par an, en associant la productivité des nouveaux plants à la technique du repiquage. À partir de cette date, le riz (produit en Chine du Sud) détrône le millet (cultivé au Nord) comme aliment de base de l’Empire.

Cette amélioration agricole participe au déplacement des populations du Nord, sous pression de nomades désormais organisés en États sur le modèle chinois, vers le Sud de la Chine. Plus largement, elle modifie les paysages de toute l’Asie du Sud-Est, puisque cette riziculture inondée amène à terrasser massivement. Elle entre enfin en conjonction avec la hausse des ressources fiscales de l’État chinois. Celui-ci est désormais en mesure de réguler efficacement les marchés. Il achète de grandes quantités de grains pour en stabiliser les cours et être en mesure de redistribuer à des populations en difficulté. Disposant de greniers pour le stockage, de canaux pour l’acheminement, l’État peut ainsi gérer des situations de pénurie qui mèneraient sinon à la révolte, même si des guerres civiles éclatent ponctuellement. Cette obsession d’être en mesure de nourrir le peuple, envers et contre les sécheresses ou hivers destructeurs de récoltes, est une constante de l’histoire bureaucratique chinoise. Elle entraîne des systèmes de gestion de plus en plus importants – et parallèlement le souci de l’État de contrôler la production des billets de banque. Leur impression est même un temps confiée à des entreprises privées, sous contrôle étroit des mandarins. Les taxes sur le sel et l’acier sont nationalisées afin d’assurer des recettes constantes.