Comme le rapporte un article de Julien Bonhomme (1), depuis octobre 2007, six unités de l’armée américaine stationnées en Afghanistan et en Irak ne se déplacent plus sans leur équipe d’« anthropologues embarqués » : jeunes diplômés ou enseignants, ils ont été intégrés à ces unités avec la mission « d’améliorer la capacité des militaires à comprendre l’environnement socioculturel en Irak et en Afghanistan ». Passablement enlisée dans sa lutte contre les talibans et les diverses factions armées irakiennes, l’armée américaine se heurte à des difficultés persistantes pour faire accepter sa présence aux populations locales faute, a-t-on estimé, d’un minimum de connaissances. C’est ainsi que s’est imposée l’idée de recourir au « renseignement ethnographique », singulière alliance du fusil d’assaut et du magnétophone, dont l’objectif affiché est de permettre aux militaires de « recourir moins souvent à la force ». L’idée, lancée il y a plus d’un an à grand renfort d’offres d’emploi sur Internet, s’inscrit dans un programme appelé Human Terrain System (HTS), piloté par le Pentagone et confié, pour le recrutement, à l’agence BAE Systems.
Les premiers essais ayant été concluants, le Pentagone a annoncé en septembre 2007 la généralisation de l’expérience aux 26 unités engagées dans ces deux théâtres d’opérations. D’ici quelque temps, plus d’une centaine d’anthropologues, linguistes et autres diplômés en sciences sociales devraient se voir chargés de missions similaires, au titre d’experts et d’enquêteurs de terrain pour les militaires.
Cette collaboration active n’a évidemment pas été du goût de tout le monde. Formé dès l’annonce du programme, un réseau d’anthropologues (le Network of Concerned Anthropologists) a appelé au boycott du HTS. La très influente American Anthropological Association (AAA) s’est inquiétée de l’affaire, a ouvert un forum de discussion et fini, en octobre 2007, par émettre un avis défavorable sur le HTS.
Terrain miné
Une vive polémique agite la communauté des anthropologues américains : pour ou contre le programme Human Terrain System ? Recruter des diplômés et les intégrer à des unités combattantes pour améliorer leurs relations avec les populations locales est-il moralement acceptable?